Aux champignons

Je suis partie ramasser les champignons avec mon père, mon oncle et ma soeur.

Ça faisait des années qu’on n’avait pas passé une journée ensemble, et ça ressemblait à quand j’étais petite. 

Ce qui est curieux c'est qu’on s’est réunis par hasard dix ans jour-pour-jour après la mort de Richard, mon grand-père, et donc leur père puisqu’ils sont frères, et que l’un est notre père et l’autre notre oncle, à Julia et moi, ma soeur.

Ça me fait sourire parce que c’est lui-même qui leur avait appris à ramasser les champignons et c'est dans son vieux 4x4 qu'on y est allés, poussiéreux de l'époque où il le conduisait, ses mégots de Gitanes traînent toujours dans le cendrier et dans tous les recoins de la bagnole sont encore dissimulés ses objets, comme ses chaufferettes au charbon, ses huit mille couteaux, et quelques mouches de pêche faites maison.

L’image qui me restera toujours de lui c’est la Nature, il s’habillait comme elle et elle était tous ses décors. Quand je pense à mon grand-père je vois de la mousse humide sur un rocher trempé, je vois des fusils dans des housses en cuir, le poulailler construit de ses mains dans lequel j’allais braver ma peur pour quelques œufs pleins de merde en esquivant les hameçons et les attrapes-mouches. Je vois des voiliers, des sangliers et sa plume de paon dans le chapeau.

Il était marin-pêcheur-chasseur-aventurier, champion d’échecs, joueur de cartes, de pétanque et de piano, et j’aimerai trop être comme lui, on l’est tous un peu ici. Et même si ça fait dix ans que j’ai pas serré sa main et que je me souviens plus de sa voix sans les VHS il sera toujours avec nous par ce qu’il nous a transmis ! Et je sais que c’est lui qui nous a réuni l’autre jour, même si c’est con de le penser. 

La mort ça fait chier, surtout quand ça survient trop tôt, et je regrette fort de pas avoir été plus curieuse quand il était là, de m’être juste contentée de sa présence comme si elle était éternelle et de ne pas l’avoir mieux connu. 

J’adore quand ma grand-mère me parle de ses voyages, photos à l’appui, des langues qu’il aimait le plus parler et de la fois où il a joué du piano pour Aznavour dans un bar marseillais, mais il y a des jours où je donnerais tout pour qu’il me le raconte lui-même ! 

Peut-être que l’instinct du voyage c’est aussi espérer de le croiser à nouveau, de tomber sur lui par hasard dans un port cubain, dans une rue de Delhi ou sous un arbre de l’Atlas, il serait en train de s’acheter un nouveau chapeau ou de poser pour la photo que j’ai accroché au-dessus de mon bureau. Peut-être que c’est moi qui l’ai prise. 

Il n'est plus là mais il restera partout, il ne peut pas me lire mais je le remercie d’avoir été lui, et pour cette enfance enchantée dans laquelle je veux juste me réfugier aujourd’hui. 

Ce que je fais un peu d’ailleurs. 

Vive Pépé Richard ! 

Using Format